Signe de puissance, par excellence, l’argent représente, pour les sociétés humaines, une ressource indispensable. Il est l’instrument qui permet la matérialisation des idées et des projets. L’argent est indispensable dans ce monde où tout est question d’argent. Alors que peut-on offrir à une communauté qui a besoin d’argent pour son développement si ce n’est l’argent lui-même ? La commune de Port-de-Paix, ville historique et jadis prospère, a besoin d’idées neuves et progressistes susceptibles d’accoucher des projets viables en vue de son décollage. Comme à la volonté, il faut le conditionnement il faudra, pour y parvenir, des ressources financières et économiques dont on ne peut aucunement se passer. C’est dans ce sens qu’abondent les réflexions qui suivent.
Considérations générales
À la lumière des actualités mondiales, rien n’a changé dans la logique des marchés,qu’il s’agisse des théories et des pratiques qui font gagner ou perdre. Les mentalités et les comportements qui y sont associés continuent d’animer le cours des politiques, de créer des richesses ou de basculer l’être humain dans la déchéance.
Si le propos de Pierre Caron de Beaumarchais, à savoir “ce sont les idées qui mènent le monde”, tient toujours la route, il n’en demeure pas moins que le numéraire reste et demeure la pierre angulaire, l’élément incontournable sans lequel aucune idée ne peut s’incruster dans la glaise du réel. On pourrait dire qu’il n’y a rien de tel que l’argent.Mais, en dépit de tout, les idées précèdent l’argent en ce sens que toute œuvre humaine, avant même sa matérialisation, s’inscrit dans un processus d’idéation et de conception.
Inutile de signaler que le malheur, le bonheur, la richesse, la pauvreté viennent de nos idées. Certaines permettent de construire un monde meilleur, tandis que d’autres constituent une menace pour le monde. Bref, les idées élèvent ou abaissent, construisent ou détruisent, éveillent ou tuent, selon leur nature. Donc, l’argent adopte le comportement et prend la forme que les idées lui confèrent tout en tenant compte que l’argent possède une dynamique qui lui est propre.
Ainsi, il incombe aux pays où sévit la misère de s’inspirer d’idées fructueuses (belles et bonnes) afin de construire une société et une économie capables de relever respectivement le défi de l’éducation et celui de la pauvreté. Il est également important de noter que les idées seules ne suffisent pas, elles doivent être mises en œuvre de manière efficace et efficiente pour générer de la richesse. C’est pourquoi il est recommandé à tous de réfléchir avant d’agir afin de trouver l’équilibre nécessaire entre la réflexion et l’action. Et, comme le préconise le pragmatisme, il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action.
Quoi qu’il en soit, personne n’échappe à la logique de l’argent. Nul ne peut vivre une vie sans argent sans tomber dans les affres de l’indignité, de la misère et de l’infra-humanité. Personne ne peut nier l’évidence de son pouvoir immense dans le monde, ni le bonheur qu’il apporte aux nantis. Malgré les réserves exprimées par certaines autorités religieuses à son encontre, la ruée vers l’argent ne cesse de croître, de se renforcer et de participer au plus haut point à l’accession à un mode de vie confortable.C’est pourquoi toute nation qui aspire à la grandeur ou à se tailler une place au soleil doit impérativement s’engager dans une course permanente à la richesse. Ce cheminement est celui de l’homo œconomicus aux prises avec les dures réalités du monde. Il doit s’organiser s’il veut s’en sortir en tant qu’agent économique de premier plan. Cela vaut aussi pour les communautés, surtout les mégapoles où affluent des gens des zones avoisinantes. Il est un fait que toutes les métropoles d’Haïti expérimentent la surpopulation, voire la promiscuité.
Que l’on ne se méprenne pas : ceux qui pensent que l’argent est donné se trompent. Il ne tient pas du miracle. La prospérité exige discipline, sacrifice et adaptation stratégique. Il n’est pas évident que chacun adhère à cette logique. Il est cependant essentiel de comprendre que n’importe quel pays pauvre peut devenir riche s’il le souhaite, car la richesse n’est rien d’autre qu’une question d’hommes. Si Haïti fut, jadis, riche ; elle peut le redevenir. Les bras humains, les esprits qui en avaient fait un vrai joyau se sont mêmes bonifiés. Ce ne sont pas les potentialités qui manquent. L’Etat debout ! La Jeunesse debout ! La Diaspora debout ! Port-de-Paix debout !
Le rêve en tant qu'idéal ou quête du bonheur collectif et individuel.
Si l’on vante souvent le mérite du rêve américain comme l’expression d’une vie pleinement accomplie où l’individu et le collectif sont censés être à l’abri du besoin, on peut aussi envisager le rêve haïtien et plus spécifiquement le rêve port-de-paixien à condition que l’on s’entende sur les principes du vivre-ensemble, d’équité et d’opportunités pour tous. Le rêve américain, en dépit de certains avatars (par choix, certains individus ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu dans la société américaine), est un construit auto-entretenu, c’est pourquoi il subsiste à travers les ans. Un rêve ne se construit pas ex nihilo, dans l’indigence d’esprit ou la résignation. Il ne se construit pas non plus sur du faux, desjérémiades, des buzz, des voye monte, mais plutôt sur la poursuite constante d’un idéal de bonheur, la noblesse des sentiments, la volonté sans cesse renouvelée de repousser ses limites, la valorisation du travail comme vecteur d’accomplissement de soi. Inutile de dire pourquoi la civilisation occidentale a autant de succès.
Les conditions existentielles dans la métropole du Nord-Ouest
Tout bien considéré, il est extrêmement difficile de vivre à Port-de-Paix, la fière cité de François Cappoix, l’un des titans de la révolution haïtienne qui s’est déroulée au cours de la période 1791-1804. En effet, à Port-de-Paix, la métropole du Nord-Ouest, on ne peut y vivre sans sourciller, sans éprouver de la compassion en raison de son insalubrité, de ses rues entravées, mal entretenues, croulant sous le lourd fardeau de son explosion démographique. Port-de-Paix, en effet, est pleine à craquer. Non seulement elle succombe sous le poids d’une surpopulation alarmante qui interpelle les consciences, mais elle fait aussi face à des déluges périodiques qui participent au plus haut point à des événements dramatiques, dont la destruction des vies et des biens.Jusqu’à ce jour, aucune infrastructure digne de ce nom n’a été réalisée pour contenir ces pluies abondantes, pour parer au phénomène des inondations, aux glissements de terrain, à la dégradation de l’environnement, en un mot, aux catastrophes naturelles. Ajoutons à ce décor, l’obstruction des embouchures, des canalisations et des égouts due à la construction anarchique des maisons, aux déchets ménagers et industriels. C’est aussi une question d’hygiène publique
Bien entendu, nous ne sommes pas les premiers à nous exprimer sur le sujet.Beaucoup d’autres l’ont déjà fait avant nous, en apportant des perspectives diverses et des analyses approfondies. En effet, ce thème a suscité de nombreuses discussions et réflexions au fil du temps, tant parmi les experts que parmi le grand public. Chaque contribution a permis d’enrichir notre compréhension collective et de mettre en lumière différents aspects de la problématique.
Beaucoup de plaintes, de gémissements, beaucoup de grognes, des appels réitérés à l’aide, mais rien n’est fait. En outre, à cause de l’invasion de la voie publique, les usagers de la circulation routière sont contraints de se déplacer sur un ruban d’espace.Force est de reconnaître, pour le présent et pour l’avenir, qu’il est impératif que Port-de-Paix s’inscrive dans une dynamique de déconcentration de son territoire vers des étendues inoccupées afin de s’agrandir pour éviter une série d’incidences majeures pouvant constituer, au-delà d’un certain seuil, un frein à son développement.
La vie sociale et économique à Port-de-Paix
La vie sociale de cette ville est marquée par une philosophie caractérisée par un manque de solidarité, la méfiance, l’esprit de division, une absence de communication et la précarité économique; pomme de discorde de toute société en difficulté d’émergence. Que peut-on dire de sa vie économique? Sa vie économique est marquée par le phénomène de banditisme quasi généralisé. Sans entrer dans une série de considérations techniques et scientifiques, il est évident que l’économie politique et de marché a subi des transformations profondes. L’inflation atteint des sommets. Les commerçants, car il n’y a pratiquement pas d’industriels à proprement parler, se démènent comme des diables dans un bénitier. Les ménages sont épuisés, les risques sur le marché sont colossaux et imprévisibles, tandis que les salaires stagnent. Et, très peu de personnes disposent d’un salaire. Le gros du peuple vit à partir du secteur informel qui échappe à tout contrôle étatique.
Les changements, tant dans la vie sociale que dans la vie économique, soulignent clairement l’anormalité de la situation actuelle. Port-de-Paix recule au lieu de progresser, et ce, bien longtemps, avant cette conjoncture de terreur que nous déplorons tous. Ce qu’elle était au cours de la première moitié du XXe siècle n’est plus qu’un lointain souvenir et ce qu’elle représentait pour le pays appartient désormais à l’histoire. Le pire, c’est que Port-de-Paix, autrefois un port florissant rivalisant avec le Cap-Haïtien, se trouve désormais dans une situation de dépendance vis-à-vis de ce dernier. Pour l’histoire et pour la vérité, la ville de Port-de-Paix et l’ile de la Tortue ont été les premières capitales coloniales d’Haïti. A fortiori, il faut se souvenir de la Standard fruit company, de la compagnie haïtienne, des plantations de figue banane, du gaïac, de la pite, du campêche, du bois chandelle, de l’acajou étendues sur des milliers de kilomètres dans la seule région du Nord-ouest.
La voie par laquelle peut venir le salut
Engluées dans les pièges de la lutte pour la survie, les populations locales ne semblent,à mon avis, poursuivre aucun idéal de grandeur. Un rêve est un idéal, une quête incessante du bonheur, caractérisé par le bien-être matériel et la qualité de vie. Il participe au processus d’humanisation de l’homme, qui doit pouvoir satisfaire ses besoins primaires (boire, manger, dormir, se vêtir…), ses besoins de sécurité (vivre tranquillement sans se sentir menacé ou en danger), ses besoins sociaux (être reconnu en tant que personne, appartenir à un groupe), ses besoins de réalisation (contribuer par son travail au développement de sa communauté) jusqu’aux besoins d’accomplissement de soi (devenir la personne qu’on souhaite devenir).
Tout cela ne va pas de soi. Il faut un conditionnement certain. C’est là qu’interviennent les avant-gardistes, ces personnes qui pensent, qui luttent et qui investissent pour créer de la richesse et qui ont des idées prodigieuses. Il faut commencer par identifier toutes les potentialités du Département, puisque le rêve port-de-paixien est, par rayonnement, celui de tout le département. Cela inclut les ressources humaines qualifiées, l’agro-industrie, les ressources du sol et du sous-sol, etc. Elle inclut tous les moyens permettant de créer des emplois pour les habitants car, sans le travail, le rêve est un vœu pieux dans un Nord-Ouest qui n’est pas compétitif par rapport aux autres départements.
D’ailleurs, quand il s’agit de rencontres de grande envergure avec des acteurs nationaux ou internationaux, la ville de Port-de-Paix n’est jamais choisie comme lieu où se tiennent ces rencontres. C’est un signe fort du désintérêt porté à son égard, d’autant que certaines régions du pays jouissent de privilèges notoires tandis que d’autres sont systématiquement désavantagées. Dans la perspective d’un changement réel pour le Nord-Ouest, Port-de-Paix a besoin de s’organiser. Il lui faudra fortifier ses remparts, acquérir à sa cause des personnalités publiques valables tant à l’intérieur qu’à l’extérieur pour gagner des batailles.
C’est pourquoi elle a besoin d’un leadership fort, éclairé, d’une vision claire et d’une ferme volonté d’innover. Parler de leadership, ici, revient à parler d’hommes de poids, multidimensionnels, de confluence dotés d’esprit d’initiatives audacieuses pour remuer cette montagne gigantesque qu’est Port-de-Paix, dans son état actuel. Cela signifie créer des conditions favorables à la reprise économique, encourager l’émergence de leaders locaux capables de porter des projets ambitieux, de mobiliser la communauté autour d’objectifs communs, investir dans les infrastructures de base, portuaires et aéroportuaires pour rendre la ville plus attractive et plus fonctionnelle, mener des campagnes de promotion pour faire connaître les atouts de la ville et attirer des investisseurs, des touristes, et établir des partenariats avec des acteurs nationaux et internationaux pour bénéficier de leur expertise, de leurs ressources et de leur réseau.
Cela nécessite une volonté collective et des efforts soutenus pour reconstruire la confiance, stimuler l’innovation et encourager les investissements. L’intelligence, l’argent, n’ont pas de frontière ni de nationalité, le génie n’est ni noir ni blanc, la science n’a pas de patrie ni de statut social. Tout ce qui peut se réaliser ailleurs peut se réaliser aussi ici.
Il convient de mentionner, en passant, que nous évoluons vers un monde complexe qui ne donne aucune chance de laisser prévoir ce qu’il sera demain. Il devient évident pourtant que nos besoins en alimentations etc. ne seront pas nos seuls besoins prioritaires. Les surprises que ce monde nous réserve seront d’autant plus déconcertantes que notre refus de nous intéresser aux questions qui touchent à notre destin persistera.
S’exprimer au sujet de son environnement ne fait jamais l’unanimité. Cela peut susciter des réactions divergentes dans la mesure où cela offre la possibilité de rester ou de se retirer en fonction de sa zone de confort. Mais il arrive un moment où le partage des opinions, l’expression de ses préoccupations est essentielle pour promouvoir le changement et le progrès au sein d’une communauté. La production des préoccupations, bien que critiquable par moments, pose de vrais problèmes. En ce sens, ce texte se veut une contribution pour l’avancement de la communauté port-de- paixienne.
Notons que l’Etat haïtien a du pain sur la planche.
Vive l’unité de la famille haïtienne, vive la cohésion sociale, vive l’égalité des chances.
Haïti-Rencontre
Eyroll Claude JEAN,
Fondateur et 1er président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Nord-Ouest (1999).